Le 7 février 2024, la nouvelle Boutique Zen de Paris a fêté son premier anniversaire.
Tous les visiteurs auront remarqué le renouvellement apporté par la nouvelle équipe dirigée par le moine zen Patrick Ferrieux.
Quelle est la vision qui sous-tend ces changements ? Le gérant nous explique ses priorités, ses souhaits et les motifs de son action dans cet entretien.
- Après une carrière dans le conseil, te voilà gérant d’un commerce. Tu nourrissais ce projet depuis longtemps ?
J’ai fait Centrale Paris, école dans laquelle l’idéal est d’être entrepreneur, un métier dans lequel on doit démontrer la valeur de ses projets en ayant du succès.
Dans le consulting, je n’ai pas cessé, depuis 20 ans, d’indiquer aux autres ce qu’ils faisaient mal et pourraient faire mieux. Cette fois je vais m’observer, comme on l’enseigne dans le zen, et voir si je suis capable de faire quelque chose qui tient la route.
- D’où vient cette boutique, au juste ?
Quand maître Deshimaru a implanté les premiers dojos en France vers 1970, il a rapidement créé une boutique zen. En donnant de la visibilité à sa mission, ce commerce qui a eu un succès immédiat a aussi bénéficié aux dojos, moins faciles d'accès.
Grâce à la boutique, on pouvait rencontrer les gens qui pratiquaient le zen : ils n’étaient pas si bizarres ! C’était un point de rencontre et un endroit où étaient produits des objets utiles pour la Sangha.
- Ce commerce était viable, économiquement ?
Ça n’a jamais rapporté beaucoup, mais ça n’était pas l’objectif. Les deux premiers employés se partageaient un SMIC.
Dans l’esprit de mushotoku, l’objectif n’était pas l’expansion, mais bien de faire vivre la mission de Deshimaru, et c’est toujours le cas. C’est une réussite, puisque la boutique existe depuis 50 ans.
- Cependant, tu as repris ce commerce alors qu’il était menacé de fermeture.
Les comptes n’étaient plus équilibrés. Et l’AZI (Association Zen Internationale) actionnaire majoritaire a considéré que cette boutique était davantage un enjeu pour le Dojo Zen de Paris que pour l’association dans son ensemble.
Ma proposition a été de maintenir et relancer cette boutique en changeant les règles du jeu pour assurer sa pérennité et offrir un rayonnement bénéfique au zen à l’échelle nationale, et même européenne.
J’ai soutenu qu’une présence physique dans la capitale, à l’entrée du plus grand dojo d’Europe, avait un autre impact qu’une simple vitrine sur internet.
- Il s’agit donc aussi de présenter le zen à un public qui n’est pas encore prêt à s’inscrire à l’initiation au dojo ?
Oui, et je considère ce public non comme des clients, mais comme des visiteurs. Ils viennent nous rendre visite pour éprouver leur vision du zen. Ils peuvent avoir été inspirés par l’esthétique, ou avoir des conceptions personnelles sur la sagesse. Quelque chose a capté leur attention. S’ils entrent, c’est déjà une réussite. Cela signifie qu’au lieu de rester enfermés sur nous-même, nous avons émis de la lumière.
- Et concrètement, que trouvent-ils, en entrant ?
Il y a toujours une personne pour répondre à leur question, qui n’est souvent pas un professionnel de la vente, mais très souvent un pratiquant chevronné.
Cette personne peut leur présenter les collections centrales : les zafus, zafutons, vestes de samu-e, mokugyo, outils nécessaires pour le zen, etc…
- Quelle différence d’expérience cela fait-il avec un autre commerce ?
Le visiteur qui veut acheter un kimono à la boutique va se trouver au croisement d’une tradition millénaire et de son envie du moment. C’est à cet endroit qu’est le zen.
D’un côté, ce n’est pas de la mode : la coupe ne change jamais, il n’y a pas de gammes. De l’autre, nous n’allons pas lui dire : « voilà votre kimono ». Il faut tenir compte de la taille, essayer.
Et concernant d’autres articles comme les vestes de samu-e, il y a un choix de couleur. Quant aux zafus, nous proposons désormais une personnalisation au moyen de tissus colorés.
Nous faisons en sorte que les objets avec lesquels les gens partent soient des pièces uniques, reflets du moment unique qu’ils ont passé dans la boutique.
- Cette boutique est aussi une librairie ?
C’est un rayon que j’ai l’intention de développer jusqu’à ce que nous devenions la librairie de référence en Bouddhisme zen. C’est ambitieux mais réaliste. Il s’agira d’avoir plus de choix qu’à la FNAC ou chez Gibert, mais surtout les bons livres.
Nous pouvons nous appuyer sur la force de notre Sangha, qui compte deux éditeurs (Sully et L’Originel - Charles Antoni ), et qui est intéressée par les ouvrages les plus exigeants.
Nous continuerons bien sûr à être le point de vente pour tous les livres de Maître Deshimaru, qui ne sont parfois pas distribués ailleurs, et nous sélectionnerons des livres plutôt destinés aux débutants.
- Tu as introduit une nouvelle modalité de présence en magasin, avec des non-professionnels faisant du volontariat.
Oui, du volontariat bénévole. C’était nécessaire au sauvetage de cette boutique, et un chemin se dessine, depuis un an. Pour moi la boutique est le prolongement du dojo. C’est une activité de l’ordre du samu que beaucoup de gens sont capables et ravis de faire. Cela leur donne l’occasion de vivre leur pratique du zen au contact de personnes qui ne connaissent parfois rien au zen.
- C’est aussi une occasion de sortir d’un cadre professionnel étouffant sous les normes, et peu épanouissant ?
Certainement, mais il y a évidemment des règles à respecter. Les objets ont un prix… Cependant le fait d’être ambassadeur du zen leur plaît, et la liberté qui va avec. On peut leur parler de soi, comment on pratique, on peut s’intéresser à la personne qui vient.
Il y a un vrai contact avec le visiteur, qui n’a pas un statut de simple client. Le chiffre d’affaires n’est pas une préoccupation, du moins pas une obsession.
Il y a un frottement entre une logique de bénévolat, et une logique économique. Et ce frottement n’est pas un problème. Il peut être observé comme le sont les tensions dans la posture, et comme les difficultés qu’on a à se concentrer pendant zazen.
- L’intérêt d’avoir une boutique physique est évident, mais comment envoyer un message immédiatement clair aux passants ?
C’est encore un défi. Nous avons revu toute la vitrine, et aussi expérimenté des procédés originaux. Par exemple, nous avons fait zazen dans la vitrine ! Là c’était vraiment le zen vivant. Une autre solution est qu’il ne s’agisse justement pas d’un lieu de passage, mais d’un lieu de rencontre. Nous avons organisé quelques événements qui ont attiré un nouveau public.
- Comment la boutique de Paris pourra-t-elle rayonner au loin ?
Je souhaite qu’on y trouve un écho de ce qui se passe dans le dojo attenant mais aussi dans le reste de la Sangha. Que l’on puisse savoir, quand on vient dans la boutique, de quoi parle Roland Rech en ce moment dans ses kusen à Nice. Et où il y aura une sesshin chaque semaine sur tout le territoire.
En fait, ce rayonnement se produit déjà de manière plus subtile. Des volontaires venant de toutes les régions et suivant divers maîtres apportent leur style propre, et partagent des informations qui ne seraient pas accessibles autrement.
- Considères-tu que les articles en vente ne sont seulement que des objets ?
Notre esprit n’est pas le même que celui des Japonais, qui attribuent une sorte d’âme aux objets. Pourtant, nos articles ont bien un statut particulier.
Un kimono ou un zafu est durable, et accompagne son acheteur dans une pratique sacrée, si j'ose dire. Une statue de Bouddha n’est pas « un simple objet », je me préoccupe de savoir ce que deviennent ces articles. J’ai même demandé à nos visiteurs de faire des photos de leurs Bouddha, pour qu’on voie comment ils vivaient chez eux.
Parfois des gens ont acheté à la boutique des choses dont je n’avais pas envie de me séparer. Et je leur ai dit « vous qui partez avec, prenez en soin, je voudrais le tenir une dernière fois dans ma main ». Il y a quelque chose de l’ordre du sensible. Il y a un soin à observer, c’est l’expression de la voie, c’est Dôshu : on exprime que tout est inscrit dans une unité, sans séparation.
- Un mot de conclusion ?
La boutique zen a été sauvée, mais elle reste fragile. Je sollicite l’aide des pratiquants pour me seconder dans l’accueil des visiteurs à la boutique de la rue de Tolbiac. Il suffit de me contacter.
L’an dernier ce samu a été assuré par des disciples de diverses sanghas, entre quelques jours et quelques semaines. Je précise que nous avons aussi une boutique au Temple de la Gendronnière, où un tel coup de main se produit naturellement à l'occasion des sessions de pratique.